
Le pouvoir d’une écoute incarnée
Et si la transformation ne passait pas tant par les mots, mais par la qualité du silence qui les entoure et la profondeur depuis laquelle ils émergent ? Dans cet épisode, une psychologue partage comment le focusing l’accompagne dans son cheminement vers une présence thérapeutique transformatrice. En cultivant une écoute incarnée, elle explore ce qu’elle nomme le véritable lieu du changement : l’instant vécu, dans le corps, là où quelque chose peut se dire autrement, et commencer à se transformer.
Je suis psychologue depuis quelque chose comme sept ans. J’ai été formée à l’ACP, l’approche centrée sur la personne. Et suite à ma formation en ACP, j’ai prolongé par une formation en focusing que je pratique en séance avec les personnes.
Tu as été formée à l’ACP pendant ta formation de psychologie ou c’est par la suite, quelques années après ?
J’ai fait les études de psychologie et puis une formation en psychothérapie. C’est une formation complémentaire de trois ans en ACP, et puis deux ans en focusing.
Donc tu avais déjà pratiqué avant de te former ensuite de manière complémentaire. Comment ça a été cette rencontre avec l’ACP, et puis avec le focusing pour toi ? Qu’est-ce que ça t’a fait vivre, qu’est-ce que ça t’a permis ou ouvert comme horizon ?
Avec l’ACP, ça a été une rencontre surtout dans les valeurs, dans la considération donnée à la personne, dans la façon vraiment d’approcher une personne et pas un trouble, un problème. Donner une place entière à tout ce que les personnes peuvent vivre. Les attitudes.
Les trois attitudes, c’est-à-dire de l’approche centrée sur la personne ?
Oui : l’empathie, la congruence, la considération positive inconditionnelle. Ce sont vraiment des piliers, des bases, et puis des repères aussi. C’est ce que je trouve le plus porteur dans l’accompagnement des personnes. Je me retrouve bien dans l’ACP.
Donc ça, ça t’amène un plus, c’est ça, dans l’écoute, la considération, tu disais, de la personne au-delà d’un trouble. Qu’est-ce que ça permet déjà, alors, cette considération pour la personne que tu reçois ?
Ça remet le pouvoir chez la personne. Il n’y a pas de position d’expert qui sait et qui va soigner quelque chose. Il y a vraiment une possibilité pour la personne qui vient en consultation d’être proche d’elle-même, de cheminer à son rythme et de trouver les réponses chez elle plutôt qu’à l’extérieur. Retrouver ce centre d’évaluation interne, que je trouve précieux. C’est pour moi au service d’une grande liberté.
Comme aider à accéder à une certaine autonomie, ou retrouver l’autonomie.
Exactement.
Ça c’est pour l’ACP. Et puis alors, le focusing arrive au moment de ta formation complémentaire en ACP ?
On nous donne une introduction au focusing. Là, c’est la première fois que j’en entends parler, et ce n’est pas tout de suite que ça me frappe comme quelque chose d’aussi précieux que ce que je perçois aujourd’hui. À la fin de ma formation, je remets un travail de fin de formation sur la présence thérapeutique. En travaillant cette thématique, il y a eu la question du corps qui a pris une grande ampleur. J’ai réalisé combien, surtout l’attitude de congruence, elle se joue pour moi dans un contact intime avec mon expérience corporelle.
Qui te demande d’être appréhendée, de cheminer vers ce contact corporel ?
C’est exactement ça. J’ai commencé la formation en focusing pour moi, pour approfondir ma congruence. Et dans le décours de la formation, j’ai vu aussi une façon d’accompagner mes clients — puisqu’on dit comme ça dans l’approche. C’est devenu quelque chose qui a donné une profondeur pour moi à l’accompagnement.
Donc ça, dans un premier temps, c’est pour toi. On va dire, c’est cette prise de contact avec ton intériorité qui te permet de sentir si tu es congruente ou pas. C’est quelque chose comme ça ? Puis comment tu mets ça au service justement de ta clientèle ?
Je vais juste reformuler ta question pour être sûre de bien la comprendre. Tu me demandes comment je mets ma congruence au service de mon accompagnement et des personnes qui me consultent ?
Alors, ma question c’était plutôt : ce cheminement que tu fais vers toi, comment est-ce que tu accompagnes les autres à le faire vers eux aussi, dans le cadre des séances ?
Comment j’accompagne ça chez l’autre ? D’abord en l’incarnant moi-même autant que possible. Et c’est quelque chose qui est contagieux en fait. Je suis persuadée que quand moi-même je suis en contact avec moi, j’aide déjà l’autre à être davantage en contact avec lui. Cette façon de s’exprimer, de faire une pause dans ce qu’on ressent, dans le discours, pour aller vérifier à l’intérieur : est-ce que je parle bien de ce que je ressens ? De ce qui se passe vraiment pour moi ? Ça amène l’autre à faire le même mouvement en lui-même.
Et puis dans le focusing, ce mouvement est invité explicitement. Ce n’est pas seulement moi qui incarne cette attitude. Je peux faire des invitations explicites aux personnes de se tourner vers elles-mêmes, de tourner leur regard vers l’intérieur, et de pouvoir aller sentir : est-ce que ce dont je parle, c’est vraiment ce que je vis ?
Dès lors elles peuvent se retrouver au contact de sensations parfois nouvelles ou inconnues, et trouver une réponse qu’elles n’auraient peut-être pas trouvée différemment, avec l’approche classique ou juste la psychologie telle que tu l’avais apprise ?
Oui, c’est ça. Dans la façon dont on parle du focusing au GAREF, là où j’ai été formée en Belgique, on le définit comme une autre façon de s’y prendre avec soi-même. C’est une écoute intérieure que je n’ai pas apprise ailleurs que dans ces formations-là. Je n’ai pas appris ça naturellement, consciemment en tout cas.
Et comment tu concilies ces nouvelles approches ou cette manière différente de relationner, d’écouter, d’amener dans cette intériorité, avec le cursus que tu as eu au départ, qui devait contenir des concepts, de la théorie, des choses peut-être moins tournées vers l’expérience directe ?
Oui
Comment ça s’articule ? Ou se complète éventuellement ?
Oui, ça se complète. C’est très juste de le positionner comme ça. Mon écoute avant le focusing était plus intellectuelle, plus orientée vers comprendre la réalité rationnellement, un discours. Mon écoute aujourd’hui est plus proche de l’expérience, de l’« experiencing ». Elle est liée à ce qui se vit dans l’instant, en moi et en l’autre. Et c’est là que se trouve, pour moi, le lieu du changement. Dans cette capacité à être proche de ce qui est, au moment où on en parle, et dans le fait de pouvoir donner de la présence et de l’écoute à ça. Ça permet à ces choses-là de cheminer, de se transformer, de s’ouvrir aussi en signification.
Ce que ça crée aussi, que j’adore dans le focusing, c’est cette surprise. On ne sait pas encore ce qu’on va dire. On n’est pas dans la répétition de ce qu’on sait déjà, qu’on a déjà raconté à tellement de psys, à tellement de proches, dans la plainte qui reste comme ça. On est dans autre chose. Quelque chose de nouveau émerge, qui surprend la personne elle-même, qui la découvre au moment où elle en parle.
Donc ça veut dire que toi tu invites à ça ? Si la personne raconte son histoire, se dit “j’imagine que c’est parce que mon père ceci ou cela”, tu fais un retour vers l’expérience là, comment c’est, j’imagine ?
Dans le style que j’ai, j’aime assez peu intervenir en disant « stop, on va arrêter l’histoire, on va aller dans le corps ». Ça ne correspond pas trop à ma sensibilité. Ce qui va se passer, c’est que dans la façon dont j’écoute, un grand silence s’installe en moi, qui à un moment donné emplit la pièce. Et c’est silencieux. Dans ce moment de silence, moi je suis probablement déjà en train de sentir en moi.
Et puis, soit je vais partager quelque chose de ce que je ressens, qui va automatiquement amener l’autre à aller sentir aussi, à s’intéresser à « ah, on sent ça », ou alors dans ce silence, il y a une respiration, et je peux dire : « je vous vois respirer de cette manière-là ». Ça invite aussi à l’intérieur. Ou bien je peux demander explicitement : « Qu’est-ce que vous sentez là ? Qu’est-ce qui se passe dans votre corps, quand vous me parlez de tout ça ? »
C’est un peu ces différentes manières qui amènent à sentir. C’est comme si tu faisais appel à ce qui, toi, t’avait nourrie, et permis d’aller dans cette intériorité, de garder le calme aussi peut-être, où auparavant tu aurais pu être agitée. Aujourd’hui, tu arrives à aller dans ce silence intérieur, et du coup l’inviter.
Exactement, oui. Et ça, ce sont des choses qui se passent. Il y a des processus automatiques très liés au système nerveux. Quand on est face à quelqu’un qui a une manière de regarder, de cligner des yeux lentement, une prosodie, une façon de poser le silence, de respirer… fatalement, c’est contagieux. Et ça invite. Je ne pense pas qu’on puisse accéder à son état intérieur en étant agité, en parlant super vite, en disant : « ah oui, ça je connais, en plus blablabla ». Il y a un truc qui ne permet pas d’être en contact avec soi. En tout cas, moi, ça ne me le permet pas. Donc j’imagine que je propose aussi ce qui me ressemble.
Est-ce que ça, justement, cette présence ou ce calme intérieur, c’est quelque chose que tu avais appris avant, ou qui faisait partie de l’apprentissage dans le cursus en psycho ?
Non, ça c’est quelque chose que j’ai travaillé de mon côté. Cette thématique de la présence thérapeutique a été un vrai shift. Me poser sur cette thématique, la travailler même théoriquement, parce que c’est un travail de formation, avec des articles scientifiques. Faire référence à des auteurs comme Maslow, qui parle de ça dans les expériences paroxystiques, ou encore à des éléments liés au système nerveux, à la théorie polyvagale — on en parle beaucoup aujourd’hui. Tout ça, ce sont des petites briques qui ont mené à ce moment où je me suis dit : « ça ressemble au focusing, en fait ». Je peux retrouver ce que je cherche dans cette pratique qu’est le focusing.
Merci Élise. Est-ce que tu aurais un mot de la fin à adresser à des psychologues ou futurs psychologues ? Une invitation peut-être ?
Ce que je peux dire, c’est que j’ai envie de souligner combien c’est précieux, ce contact particulier avec soi. Et qu’il est au service à la fois de soi-même et des autres — nos clients, mais aussi notre entourage. Pouvoir être profondément en lien avec soi, ça crée des liens profonds avec les autres. C’est profondément thérapeutique.
Alors, c’est comme si je me disais : s’il n’y avait qu’une chose à apprendre, quand on veut accompagner des personnes qui en ressentent le besoin, ce serait cette capacité d’être là. Y compris avec les grandes souffrances qu’on peut rencontrer, en soi ou en l’autre. Et ça, pour moi, le focusing, c’est vraiment le bon compagnon.
Merci.
Avec plaisir, merci beaucoup à toi.
Des propos recueillis par Maxime Calay lors du séminaire d’été de focusing 2024
Le Garef : https://www.focusing-garef.com/
Crédits :
Photo : ecommunication – Léo Durand
Musique : Maxime Calay