Quand les cailloux deviennent joy(e)aux
En repensant au séminaire de focusing sur le thème “trouver ma place”, je réalise combien les souffrances passées peuvent se transformer en trésors à partager, et comment la magie de la rencontre humaine nous guide vers l’ouverture, la créativité et l’accomplissement de soi.
Depuis le hamac tendu entre deux chênes verts, bercé au son des cigales et du roulis de l’eau, rafraîchi par un courant d’air frais alors qu’on peut déjà sentir les prémices d’une chaude journée, je me remémore le séminaire d’été de focusing qui s’est terminé la veille, à l’aune de la thématique inspirée : trouver ma place… et devenir enfin qui je suis.
Un frisson me parcourt alors que je formule intérieurement les sentiments de douceur, de joie et de créativité qui étaient présents pour moi tout au long de ces cinq journées, passées avec une cinquantaine de personnes rassemblées pour l’occasion. J’ai été profondément touché par la magie à l’œuvre, cette force subtile, discrète mais ô combien puissante qui semblait nous porter, les uns les autres, individuellement et collectivement, vers l’ouverture, la rencontre, le dépassement de soi.
Alors que je termine ce paragraphe, j’observe la pensée : « il y aurait tant de choses à dire, c’est tellement riche ! ». Je m’arrête un instant, pour sentir ce qui est présent et qui demande plus particulièrement à s’exprimer, et par là même, se révéler à moi.
« C’est précieux ».
A peine ceci prononcé intérieurement, mon corps se laisse traverser par une émotion qui était présente à la lisière de mon Être, et trouve ainsi le chemin pour se manifester, et peut-être, rayonner, trouver écho à travers le partage que je vous en fais.
J’accueille les larmes, puis les sanglots, je laisse mon corps libre des mouvements dont il a besoin pour cela, puis, quelques secondes plus tard, je reviens à l’écriture. L’émotion m’a littéralement traversé : elle est venue, puis repartie. Ce qui pouvait sembler confus au départ, après avoir pris l’apparence de la tristesse ou de la grâce le temps du voyage à travers mon corps, a laissé place à une sensation de légèreté. Je me sens comme réunifié, la mise au point s’est faite, je peux poursuivre.
Il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là… je dirais même qu’il n’en a jamais été ainsi, jusqu’il y a peu. Je dirais encore que « laisser passer », ça s’apprend, et que le corps y tient une place de choix ! Car il s’encombre, bien souvent sans que nous n’en ayons conscience, des situations pour lesquelles la circulation de l’émotion n’a pas été possible.
Par exemple, comme dirait Luis Ansa, dont les propos précis sont rapportés dans « la voie du sentir », on se pollue les uns les autres en se plaignant, racontant nos histoires malheureuses, rapportant nos jugements, etc
J’ai le sentiment d’avoir été longtemps un grand « dépotoir », terme utilisé à l’époque avant que soient mis en place les déchetteries. Plus largement que les seules doléances, je me sentais contaminé par les informations, les histoires, les sentiments, les inconscients qui m’entourent. Sensible aux nuances, aux regards, aux attitudes corporelles, aux images, aux mots et aux phrases qui se mettaient pour moi en gras dans les conversations et dont je ne savais que faire.
J’étais encombré de l’histoire des autres, et bien entendu, de ma propre histoire. De toutes les histoires que je me suis raconté pour appréhender ce que je vivais, ce que j’observais, puis les moyens que j’ai essayés, bien souvent maladroitement, pour avoir un impact sur mon environnement. Pour exemple, étant adolescent, ceux qui portent une veste Schott et sortent au bal semblent avoir du succès et être à l’aise à l’école, alors je m’achète une veste semblable mais moins chère, dont la couleur, la texture, les plis crient à la contrefaçon.
Cette contrefaçon, c’est la mienne avant tout. Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fous là ? Qui sont ces gens ? Quelle est ma place parmi eux ? Tant de questions qui m’ont accompagné tout au long de ces premières dizaines d’années d’existence. Et pourtant, j’aurais dit à mon père, alors que j’avais quatre ans : « tu crois que tu me connais, papa, mais tu ne me connais pas ». Comme une parole survenue d’ailleurs, instantanée, percutante et empreinte de sagesse.
Mais le petit être lucide s’est progressivement encombré, la scolarisation ainsi que la vie familiale ayant généré une multitude de situations traumatiques des plus variées, et alors que je convoque ce souvenir, c’est la honte qui prédomine.
Honte de rougir dès qu’on m’adresse la parole, honte de me mettre en maillot pour aller à la piscine, honte que mon pied envoie le ballon complètement ailleurs que là où j’aimerais, les rares fois où j’ose jouer au foot ou au volley avec mes « camarades », honte d’avoir une chapelle à la maison et d’être chrétien parce qu’on se moquait de moi, et même quand je ne fais rien et que j’écoute les cours et que je suis ainsi premier de classe, moqueries et rejet, honte encore et encore…
Comment m’accepter, me découvrir, sans parler de me déployer, dans un contexte pareil ?
Alors je me mets face à ce petit Maxime qui a tant souffert, et je le remercie pour son courage, je le remercie d’avoir fait de son mieux pour continuer à vivre, d’avoir entre autres répertorié les avions de chasse de la seconde guerre mondiale, listé les cassettes vidéos et les bandes dessinées de la maison et collectionné les timbres, se rassurer comme il pouvait en fabriquant des listes, comme pour s’assurer que les choses seraient faciles à trouver, à l’endroit où elles doivent être, conformes à ce qu’on peut attendre d’elles.
Tant d’imprévus dans cette vie, qui ont autant d’impacts, même minimes, sur les êtres sensibles que nous sommes !
Ainsi je comprends, je ressens une fois de plus à quel point il était nécessaire pour le petit Maxime de se couper progressivement de son corps, atteignant probablement des points de saturation à répétition. Le système nerveux est câblé pour cela, je crois : au-delà du seuil de douleur « viable », c’est l’anesthésie… et l’enfouissement.
On est quand même spécialistes, nous les humains, pour enfouir les déchets et faire comme s’ils n’étaient plus là… puis on se rend compte que ça ne peut pas continuer comme ça, alors maintenant on brûle, on méthanise, on recycle, on les refile à d’autres qui sont plus ou moins capables d’en faire quelque chose. Et bien souvent, on fait croire que tout va bien.
Et s’il était possible, justement, de faire quelque chose de ces déchets que « les autres » me refilent ? Je m’en sens de plus en plus capable, alors que j’intègre peu à peu la Présence dans ma vie notamment via le « raccourci » proposé par la combinaison de l’approche centrée sur la personne et du focusing. Comme si mon espace intérieur, s’apaisait, grandissait et pouvait accueillir, de plus en plus, l’altérité.
Comme si je pouvais de plus en plus souvent rester connecté à cet espace mystérieux de l’Instant, vide du plein et plein du Tout, duquel peuvent émerger ces paroles soutenantes, parfois audacieuses ou inattendues, qui peuvent aider l’autre à recycler ses déchets selon la méthode de son choix. Et chacun en ressort grandi.
Ou enfin, comme si j’étais poussé par la Vie, par qui je Suis, à grandir en amour, courant de vie qui permet à la fois de me déployer, d’accéder à la sérénité et la joie dont j’ai l’intuition depuis si longtemps, et par là même contribuer à la beauté du monde… en étant tout simplement moi.
… Et les souffrances passées se transforment en autant de cadeaux à partager autour de moi.