
Écouter avec le corps : le coaching à l’épreuve du sensible
Quel lien entre une boule au ventre et un nouveau départ ? Au fil de cet échange avec Jean-Louis, on explore les multiples facettes du coaching, la place du corps et des émotions, les apports du focusing et la possibilité de transformation, même sans avoir besoin de décrire la situation problématique. Une plongée sensible et incarnée dans un métier en transformation.
Bonjour Jean-Louis. Pour commencer, tu es coach, mais quel type de coach ?
Alors, en coaching, il y a plusieurs types. On pense tous au coach sportif souvent. Il y a aussi ce qu’on appelle les coachs de vie, c’est-à-dire les gens qui accompagnent les personnes qui viennent sur des problématiques dans leur vie quotidienne ou existentielle. Et puis, il y a les coachs qui interviennent dans l’entreprise, dans le cadre d’un contrat qui est plus souvent bloqué autour de dix séances, avec une deuxième séance dans laquelle sont établis les objectifs, et où l’on va voir si ça marche entre le coaché et son patron, en présence du coach qui joue le rôle d’un facilitateur à ce moment-là. Et puis, une dernière séance, qui est une séance de bilan. Moi, j’interviens dans cette dernière catégorie, mais aussi comme coach bénévole pour des associations, où je fais à peu près le même métier, à ce détail près qu’il n’y a pas de patron dans ces cas-là. C’est la personne elle-même qui vient avec sa problématique.
Donc là, coach bénévole, pas forcément au niveau de l’association en entier, mais ça peut être pour des individus aussi ?
C’est pour des individus.
Et toi, depuis quand est-ce que tu exerces ce métier ?
J’exerce ce métier depuis 2016. Mon précédent métier était dans l’immobilier. En 2014, mon entreprise allait vers sa disparition, et je me suis posé la question : en quoi pouvais-je continuer à être utile à la société ? L’immobilier, c’était une évidence, c’était des sources concrètes. Puis j’ai fait une formation de coach de deux ans : coach individuel, coach d’organisation et d’équipe. J’ai réalisé après la formation que ce qui m’avait guidé, c’est toujours l’idée d’être utile à notre société. Mais cette fois-ci, directement auprès des gens qui font partie de l’entreprise ou de l’associatif.
Alors, c’est une question qui m’a toujours interrogé en croisant des coachs. Je me suis demandé : mais c’est quoi la place du corps dans la formation de coach ? Est-ce qu’il y a une place pour le corps, les émotions ? J’imagine que oui, mais comment ça se présente ?
Merci pour la question. La question implique des sous-questions. La première, c’est : qu’est-ce que c’est qu’une formation de coach ? En fait, quand j’ai été formé, il y avait à peu près une centaine d’écoles de coaching en France. Il doit en rester pas loin de 80. Chaque école a sa culture. Certaines correspondent à des courants fondateurs du coaching, d’autres mélangent ou expliquent plusieurs approches. Moi, j’ai choisi ce type d’école. Il faut savoir que dans le coaching, il n’y a pas de théorie unifiée. Il y a des théories parallèles, croisées ou divergentes. Le coach va naviguer dans tout ça, d’abord dans sa formation, puis ensuite, dans une démarche éthique et déontologique continue. C’est d’ailleurs une obligation : continuer à se former, à approfondir ses connaissances.
Toi, à quel moment est-ce que tu as rencontré peut-être ce chemin vers le corps, et le focusing en particulier ?
Le premier chemin sur le corps, je l’ai rencontré naturellement à travers mon école. Parce que le premier chemin vers le corps, c’est l’émotion. Les neuroscientifiques nous disent qu’on est une pâte quasi vierge à la naissance, même s’il y a déjà eu le voyage dans l’utérus. Or, nous sommes un animal social, et avec cinq émotions fondamentales — la peur, la joie, la colère, la tristesse et le dégoût — et quatre états — l’attaque, l’inhibition, le calme et la fuite — l’enfant va construire son fonctionnement. Nous sommes aujourd’hui le résultat de tous les automatismes qu’on a fabriqués pour vivre en société. Ces émotions sont fondamentales. Elles nous guident depuis la petite enfance et encore aujourd’hui. Il y a un excellent livre qui s’appelle L’erreur de Descartes, qui m’a éclairé sur la place des émotions. Elles étaient déjà présentes dans l’école et dans l’approche de coaching que j’ai suivie.
Et je suis curieux de savoir comment toi tu as cheminé vers tes propres émotions, ton propre ressenti, apprivoisé ton corps finalement ?
Le cheminement a commencé dès le début de ma formation. L’école impliquait qu’on fasse, un peu comme pour les psychothérapeutes, une séance mensuelle de thérapie. Le travail du coach, c’est d’être présent à l’autre. Pour ça, il faut être présent à soi. Et ça passe par le corps. Plus spécifiquement, par le hara — le bas-ventre. C’est ce que Bernadette (de l’IFEF) appelle la position de sécurité. En coaching, c’est une position de centrage fondamentale. C’est depuis cette position-là qu’on est le plus à même de percevoir les processus chez l’autre. La tête est utile pour la réflexion, mais ce n’est pas elle qui fait changer les comportements. Ce sont les émotions et leur ancrage corporel. Le coach doit être capable d’appréhender ça dans son propre corps.
Donc tu as appris au fil du temps, avec cette formation, à aller dans cet espace du hara pour accompagner ?
C’est ça. Et ça nous amène au focusing, dont le « grand-père » est Carl Rogers. Rogers a défini les attitudes fondamentales d’un accompagnant : l’acceptation inconditionnelle, l’écoute empathique, et la congruence. Et pour avoir ces attitudes, il faut être là, dans son corps.
Le fait d’être dans cet espace du bas-ventre permet donc d’activer ces attitudes ?
Oui. Ça active la présence. Ça donne une autoréférence, un point d’ancrage qui permet de ne pas se perdre dans l’autre. Par exemple, si je ressens une tension, une respiration qui se modifie, ce sont des signaux que j’ai perdu mon autoréférence. Ça peut être très utile : peut-être que ce que je vis à ce moment-là, c’est ce que le client fait vivre aux autres, et c’est là la source du problème.
Et dans ce cas-là, comment tu gères ?
Une fois que j’ai ressenti ça, l’idée, comme le dit mon superviseur, c’est d’utiliser ça comme une ressource. Je me recentre, puis je peux métacommuniquer, c’est-à-dire dire au client que je ressens une tension, ou qu’il semble y avoir une émotion présente, et lui demander ce qu’il en pense.
Tu te recentres, puis tu invites le client à explorer avec toi cette sensation ?
Exactement. Par exemple, si je ressens une culpabilité inhabituelle, je vais redescendre dans mon corps et dire : « J’ai le sentiment qu’il y a de la culpabilité aujourd’hui, qu’en pensez-vous ? » C’est une manière d’ouvrir une piste d’exploration. L’idée du coaching, c’est de créer un laboratoire de recherche. Le client est à la fois expérimentateur et expérimenté. Et nous, on accompagne ce processus pour qu’il en retire un maximum d’informations.
Et quelle est la place du focusing là-dedans ?
Un des responsables de mon école a écrit Le métier de coach. Il dit qu’on peut poser le curseur sur quatre endroits : la personnalité du client, sa manière d’être en relation, ses modes de management, et son côté stratégique. Parfois, le client est bloqué, et souvent c’est lié à une émotion ancrée dans le corps. J’ai découvert le focusing dans un atelier. J’ai eu un ressenti très clair, une sensation corporelle que je devais y aller. Ensuite, j’ai suivi la certification spécifique pour coachs. C’était il y a trois ans.
Et aujourd’hui, tu l’utilises concrètement ?
Oui. Par exemple, j’ai accompagné une jeune femme qui avait déposé le bilan après le Covid. Elle me disait : « Je devrais redémarrer, mais je n’y arrive pas. » Je lui ai proposé du focusing. Elle a décrit une boule dans le bas-ventre. En l’explorant, cette boule est devenue énorme. Je lui ai dit : « Et si vous la faisiez grandir à la taille de l’univers ? » Elle s’est arrêtée, puis a dit : « C’est bon. » Elle avait le visage détendu, un sourire. C’était débloqué. On a ensuite repris un coaching plus classique. Elle a trouvé un emploi qui lui correspond.
Donc tu utilises le focusing aussi pour toi, comme repère intérieur ?
Oui. Cette capacité, je l’avais déjà. Le focusing l’a formalisée, clarifiée, renforcée. J’ai aussi travaillé sur moi avec, donc c’est plus familier.
Et tu proposes le focusing dans un cadre bien défini ?
Exactement. C’est un outil que j’utilise quand c’est pertinent. Ce qui est très puissant aussi, c’est que le focusing peut se faire sans connaître le sujet. Ce qui permet d’accompagner même des proches. Par exemple, ma femme avait une douleur au dos. Elle a fait une séance de focusing sans dire le sujet au début. À la fin, la douleur a disparu pendant un an.
Donc ça permet aussi de préserver une forme de confidentialité.
Exactement. Et le focusing peut avoir un effet réel sur les symptômes physiques. Mais ça, c’est un autre sujet à explorer.
Merci beaucoup.
Des propos recueillis par Maxime Calay lors du séminaire d’été de focusing 2024
Jean-Louis sur linkedin : https://www.linkedin.com/in/jean-louis-torres-42760b31/
Crédits :
Photo : ecommunication – Léo Durand
Musique : Maxime Calay