
Ostéopathie et focusing : intuition et écoute au service du patient
A l’écoute de Violaine Jacquelin et de l’apport du focusing et de l’approche centrée sur la personne dans sa pratique de l’ostéopathie. Comment la qualité d’écoute et de présence au patient favorise et influence la qualité du soin dans son ensemble.
Pour commencer, est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours, de ce qui t’a amené à l’ostéopathie et puis au focusing ?
Alors, j’ai commencé l’école d’ostéopathie suite à un accident de la vie qui a fait que j’ai rencontré un ostéopathe qui m’a fait beaucoup de bien. Par la suite, j’ai intégré l’école d’ostéo et je suis sortie de l’école avec mon diplôme en 2011. Cette même période de ma vie, j’ai rencontré le focusing, aussi dans un contexte personnel où je cherchais de la relation d’aide pour moi, et suite à un séminaire de focusing, je suis vraiment tombée amoureuse du processus et par la suite, j’ai intégré la formation.
Maintenant tu pratiques l’un et l’autre ou comment ça se passe, avec une clientèle, une patientèle ?
J’ai une pratique au cabinet d’ostéopathie exclusive et en fait j’intègre tout ce que j’ai pu apprendre lors de la formation focusing pour ma pratique personnelle en tant que thérapeute mais aussi pour accompagner les patients.
Quand tu dis « j’intègre ce que j’ai appris », peux-tu préciser comment ça se passe ?
La formation d’ACP focusing m’a vraiment permis d’apprendre à développer des outils qualitatifs en tant que thérapeute. J’ai vraiment compris grâce à cette formation que je pouvais écouter quelqu’un, écouter de manière très incarnée, ça me permet d’être 100 % en présence avec mon patient, quand je le reçois, et complètement dans l’accueil de ce qu’il vient exprimer, de sa demande.
Donc en fait, ça vient développer des qualités de présence et des qualités d’écoute et d’accompagnement. Ce sont des choses que je n’ai pas eu l’impression de développer dans le cadre de la formation d’ostéopathie, qui était une formation très complète pour le corps, mais qui pour moi n’abordait pas forcément ces sujets-là, la question de la présence du thérapeute par exemple.
Donc là, tu as eu ce complément par cette formation à l’approche centrée sur la personne et au focusing qui t’ont amenée à une autre qualité d’écoute, et puis il y a des bénéfices, j’imagine, dans ta pratique de l’ostéopathie.
Alors oui, ce qui est étonnant, c’est que de prime abord, ce n’était pas ce que j’étais venue chercher au départ. Quand je suis venue faire la formation de focusing, c’était par curiosité pour me nourrir personnellement, mais j’ai vite compris que c’était quelque chose qui me permettrait de développer aussi mes qualités de thérapeute et d’être plus proche de moi, d’apprendre à m’écouter aussi moi et de développer ces qualités relationnelles envers moi-même, ce qui me permettrait d’être beaucoup plus disponible pour l’autre. C’est en ça que c’était intéressant d’intégrer les deux en cabinet.
C’est ce cheminement personnel qui te permet en même temps de rayonner vers l’extérieur et de faire profiter les autres d’une sorte de qualité, d’écoute intérieure que t’as pu acquérir.
Tout à fait, oui.
Quand tu reçois quelqu’un pour de l’ostéopathie, qu’est-ce qui se passe ou qu’est-ce qui a changé peut-être dans la pratique, ou évolué au fil des ans avec cette écoute et cette technique aussi que tu as acquise ?
Très concrètement, quand le patient arrive dans le cabinet avec une demande, avec un symptôme, quand les gens viennent, 85 pourcents des cas ont une douleur physique, le processus d’ACP-focusing me permet déjà de leur permettre de se poser avec ça, de se déposer dans l’interrogatoire juste avant la consultation, quand ils viennent m’exprimer ce qu’ils ressentent.
On crée une vraie alliance thérapeutique avec ça, car j’attache vraiment de l’importance à prendre le temps d’écouter la demande du patient. Entre deux patients qui peuvent de prime abord, présenter peut-être le même symptôme, par exemple, ils ont mal au dos, tous les deux, et bien en fait, ces deux personnes sont complètement différentes. On pourrait se dire, tiens, le mal de dos, on va le soigner comme si, comme ça. Mais en fait, puisque ces deux personnes sont différentes, je vais les aborder différemment.
Donc moi, ce qui m’intéresse, quand la personne se présente avec son symptôme, c’est quelle est son histoire aussi, qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui elle a mal au dos ? Pour moi le symptôme, c’est la face émergée de l’iceberg, il n’y a pas que ça dont j’ai envie de m’occuper. Je vais m’occuper de la personne en tant que telle, et le processus d’accompagnement, par les attitudes ACP de Rogers et le process focusing, si il se présente à ce moment-là, permet déjà aux patients d’apprivoiser, en partie, aussi, son symptôme.
J’ai constaté que quand la personne parlait de ce qu’elle ressentait avec plus de clarté, parce que je lui permets aussi d’accéder à ça, en l’aidant à préciser vraiment ce qu’elle ressent, dans son cadre de référence à elle, il y a déjà un pré-travail qui se fait dans le corps, et il y a déjà un pré-relâchement dans le corps. J’ai constaté que plus je suis attentive a capter ce que ressent la personne, quand elle passe sur la table pour qu’on pose les mains, il y a déjà un processus de guérison qui est en marche.
C’est comme si la personne avait un peu apprivoisé son symptôme et le fait de l’avoir clairement nommé, exprimé, ressenti, le fait de se rapprocher de sa douleur, c’est comme si elle le subissait déjà un petit peu moins et ça remet la personne dans son corps.
Si je comprends bien, le fait de mieux écouter, ou en tout cas d’écouter avec une profondeur que tu décris un peu, de présence, peut-être une autre manière d’écouter, de prendre le temps, ça permet déjà à la personne de démarrer une sorte de processus, en tout cas de mettre en route quelque chose.
La reformulation également
La reformulation, oui, mais il y a aussi le fait que tu élargis le champ, tu ne vas pas juste te concentrer sur le symptôme et guérir le symptôme, tu parlais de prendre en compte l’histoire de la personne. Je me demande comment toi, justement, tu vas adapter le soin que tu vas apporter quand la personne est sur la table. J’imagine que, comme tu disais, ce n’est pas la même histoire, mais comment tu sens ce qui convient de faire au fil de la séance ?
En fait, au départ, comme dans un entretien d’ACP-focusing, je ne sais pas pour l’autre. Je sais que la personne à mal au dos, mais je ne sais pas que ça lui fait, comment elle le vit. Au-delà du symptôme physique, on va aller plus en profondeur après avec les mains. J’essaye en tout cas d’être au plus proche de ce que la personne exprime et je vais ajuster au fur et à mesure, mais une fois que la personne est sur la table, c’est l’ostéopathie qui va prendre le relais. Ce sont les mains qui vont aller là où il faut et j’avais tendance à dire de temps en temps que l’ostéopathie c’est un peu du focusing avec les mains.
C’est très intuitif…
Dans celle que je pratique, oui. Les mains, le corps va nous emmener là où il faut. C’est là où c’est intéressant l’analogie, c’est qu’en ostéo, quand tu poses les mains, on va aller dans un process, dans un déroulé de quelque chose déjà, et le corps sait très bien où ça doit aller comme dans un processus de focusing. Nous, on est juste là pour aller avec, sans contraindre, sans vouloir pour l’autre, sans chercher pour l’autre. L’intention est complètement dénuée d’une idée préconçue, on va là où ça doit aller et le processus va se dérouler de lui-même.
C’est comme si, du fait d’avoir ajouté cette dimension intuitive, évolutive et d’écoute en début de séance, tu avais une continuité, dans une sorte d’attitude, être vraiment au service de la personne dans son ensemble et suivre ce qui se passe.
Complètement. C’est là où je trouve que la formation est très pertinente en tant que thérapeute déjà, même sans vouloir être accompagnant en focusing mais rien que pour soi. En développant ses qualités d’écoute pour soi-même, et d’empathie, d’accueil, et en s’autorisant à vivre ça pour soi, ça permet, après, de le mettre au service de l’autre.
Je pense sincèrement que n’importe quel thérapeute corporel ou autre, quelle que soit la pratique de soins, devrait bénéficier d’une formation pour développer ses qualités de présence et d’écoute que je trouve primordiales. Je ne vois pas comment on peut écouter quelqu’un et soigner quelqu’un, ça me paraît difficile en tout cas d’avoir une qualité de soins sans ça aujourd’hui. Pour moi, c’est devenu le centre-même de ma vie en tant que personne mais surtout dans le soin.
Et bien merci, est-ce qu’il y a encore une chose que tu veux ajouter, peut-être, un petit message à passer aux ostéopathes, aux personnes qui nous écoutent ?
Le message que j’ai à passer c’est que dans tous les cas, quelle que soit l’intention qu’on met au départ dans cette formation, ou dans la curiosité qu’on peut y mettre, on a tout à y gagner.
Des propos recueillis par Maxime Calay lors du séminaire d’été de focusing 2024
Crédits :
Photo : ecommunication – Léo Durand
Musique : Maxime Calay